J'apprends la Démocratie

J'apprends la Démocratie

Le féminisme contre les religions : deux Femens racontent.... (Charlie Hebdo du 29/03/2017)

Entretien avec Inna Shevchenko et Pauline Hillier (2 Femens)

« Les religions ont un sérieux problème avec les femmes »
 
 

Inna Shevchenko et Pauline Hillier, militantes du mouvement Femen, viennent de publier Anatomie de l’oppression (Seuil), qui détaille les atteintes des religions sur chaque partie du corps des femmes. Sur la tête, les seins, le coeur, le ventre, les mains, le sexe, les pieds, selon les sept chapitres du livre, qui se referme sur celui intitulé « Un diagnostic, des remèdes ».

96_1287_15_vuillemin_femen2_11567_prv.jpeg
 

Anatomie de l'oppression est un livre-manifeste, chirurgical, très documenté, étayé par une lecture des textes canoniques des trois religions monothéistes, et par des témoignages de femmes vivant dans différentes régions du monde1.

 

CHARLIE HEBDO : Comment vous est venue l'idée de cette description anatomique des fantasmes et des projections que les religions opèrent sur le corps des femmes ?

Pauline Hillier : Notre féminisme très incarné nous a naturellement conduites à cette approche charnelle du conflit entre les religions et les femmes. Pour avoir utilisé nos corps comme outils politiques, nous avons nous-mêmes essuyé de nombreuses attaques et menaces, très souvent de la part d'intégristes religieux. Nous avons été frappées, humiliées, torturées, enfermées, on nous a tiré les seins, arraché des cheveux, craché au visage, fouillées à nu, voilées de force. Mille horreurs nous ont été promises : nous violer, nous sodomiser, nous perforer le vagin avec des barres de fer, nous arracher les seins, nous couper la langue, nous tondre la tête, nous crever les yeux, nous défigurer à l'acide... Ces menaces correspondent à ce que les femmes subissent partout dans le monde quand elles tentent de libérer leur corps et leur esprit des fers de la religion. Le corps de la Femen, affranchi et libre, défie l'autorité religio-patriarcale, et donc cristallise toute sa haine. Quelque part, notre corps morcelé, écartelé, confisqué, conspué, c'est le corps de la patiente zéro d'Anatomie de l'oppression. C'est un livre qui dénonce, qui incrimine et qui veut convaincre : nous ne sommes pas ce qu'ils disent, nous valons mieux que ça, il n'y a pas de fatalité.

 

Sur quelle partie du corps trouvez-vous que l'attaque des religions est la plus bizarre ?

Inna Shevchenko : L'obsession des religions pour le corps des femmes, c'est ça le plus dingue, le plus bizarre. C'est extrêmement violent d'être née et de vivre dans un corps dont chaque partie est définie, codifiée et contrôlée avant que vous ayez vous-même commencé à y penser. Le corps d'une femme est capable de tellement plus que ce que les religions affirment. Prenez la tête, par exemple, cette partie du corps qui à mon avis subit les attaques les plus folles de la part de la religion. Notre esprit pourrait définir librement qui nous sommes, chacune d'entre nous pourrait se définir individuellement, et non pas en tant que fille, épouse, mère ou soeur. Il pourrait apprendre, créer, évoluer, et non pas seulement mémoriser des prières et des règles. Les religieux plantent leurs drapeaux politiques sur nos têtes pour y afficher leurs idées sexistes.

 

Quelles ont été les premières réactions au livre ?

Pauline : D'après les premières réactions, le livre permet de mieux comprendre notre combat contre les religions. Contrairement à ce que certains veulent faire croire, nous ne sommes pas des harpies écervelées et haineuses. Notre livre est construit sur des dizaines d'exemples récents et accablants pour les institutions religieuses ; des exemples qui font tomber tout le monde d'accord, femmes et hommes, croyants et athées, Femen et non-Femen, sur l'idée que les religions ont un sérieux problème avec les femmes.

 

Vous êtes plutôt isolées avec ce féminisme universaliste, non ?

Inna : Si nous sommes isolées, c'est parce que les idées universalistes que nous défendons le sont. Nous nous retrouvons dans une situation étrange où même ceux qu'on supposerait être nos alliés tournent le dos à l'idée de droits universels, pour épouser des idées communautaristes. Pour nous, la base du féminisme, c'est l'humanisme, une égalité des droits forte et inconditionnelle, des libertés, des possibilités, des règles et des statuts égaux pour tous, sans distinction de genre, de couleur, d'ethnie, de langue, de culture, etc. Le fascisme de Le Pen, le populisme islamique et le communautarisme ont une chose en commun : ils causent tous de la division et de la ségrégation. Quand le féminisme est pris d'assaut par ces idéologies masculines, il se divise aussi. Les droits des femmes doivent être universels puisque la guerre faite aux femmes est universelle.

Pauline : J'entends de plus en plus souvent parler de féminisme blanc, noir, musulman, chrétien, occidental ou oriental..., ces déchirements identitaires ne font que freiner notre combat. Je crois sincèrement en la mixité, en toute forme de mixité, et en une solidarité sans frontières. Au fond, c'est très « citoyens du monde » comme démarche, c'est notre côté hippie, d'ailleurs on a même des fleurs sur la tête...

« -L'extrême droite du FN et l'islamisme ont plus de points communs que de différences. »

 

On vous dit que vous êtes violentes quand vous montrez vos seins. Vous forcez donc les hommes à reconnaître que le corps des femmes les effraye ?

Inna : Qu'est-ce qui est violent ? Un corps nu, désarmé, avec un slogan à la peinture et une couronne de fleurs ? Qu'y a-t-il de plus pacifique que cette image-là ? Soyons justes : ce qu'ils considèrent comme violent, c'est une femme qui s'exprime d'une voix puissante, dans un corps actif et confiant, exposé aux yeux du public. Je suis d'accord, une femme libre est une violence pour une société patriarcale sexiste. La liberté féminine grandissante est une menace pour un système dogmatique vieillissant. Quand nous ne serons plus ni faibles ni muettes, la société patriarcale devra faire avec, elle creusera sa tombe.

 

Comment s'est terminée la dernière action des Femen, « Marine, féministe fictive ! » ?

Pauline : Cette action s'inscrit dans une longue et tumultueuse histoire commencée en 2013. Le destin de Marine Le Pen est maintenant lié à celui des Femen. Elle dit d'ailleurs de son père qu'il est « sa petite Femen ». C'est mignon, n'est-ce pas ? Nous sommes fières d'incarner son pire cauchemar, ces fameuses « harpies obscènes » comme elle dit, et nous sommes bien décidées à continuer à la hanter.

Inna : Oui, nous continuerons à l'interrompre aussi longtemps qu'elle continuera à répandre sa haine et à prendre le féminisme en otage. Elle se prétend féministe uniquement pour s'opposer aux migrants ou aux musulmans. En réalité, elle continue à diffuser ses idées antifemmes en remettant en question le droit à l'avortement, ou en proposant de réduire le chômage en invitant les femmes à rester au foyer. Dans le fond, ces deux idéologies, l'extrême droite du FN et l'islamisme, ont plus de points communs que de différences.

 

Il pourrait y avoir des interventions des Femen pour d'autres candidats, non ? La religion a pris tellement de place dans cette campagne présidentielle.

Pauline : Il pourrait bien y en avoir, en effet, mais c'est confidentiel. Sur la question des droits des femmes comme sur celle de la laïcité, qui sont évidemment liées, cette campagne démarre sous de bien mauvais auspices. Le Pen, qui se pose en candidate féministe, Hamon, qui compare le port du voile islamique au port du short, Macron, qui fustige la laïcité « revancharde » et la préférerait « protectrice », Fillon, qui place ses croyances religieuses sur le même plan que ses opinions politiques et avale son hostie devant les caméras de télévision. Tous ces candidats dévoient le féminisme et la laïcité. Nous attendons la candidate, ou le candidat, qui aura le courage intellectuel et l'intégrité politique de défendre ces valeurs pour ce qu'elles sont, sans y apposer d'adjectifs.

Propos recueillis par Yann Diener
1. Le collectif Femen vient de publier Rébellion (Éditions des femmes).

 

 

 

Article Charlie Hebdo, mars 2017 - Les religions ont un sérieux problème avec les femmes

 



25/09/2017
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 89 autres membres