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Réforme des retraites Macron - un article intéressant de Libération du 14/01/2020

Les fonctionnaires sacrifiés sur l'autel du système «universel» de retraites

Par Thomas Amossé, sociologue, chercheur au Cnam et Joanie Cayouette-Remblière, sociologue, chercheure de l’Ined
 

Selon les observations de deux sociologues, le système de retraite proposé par le gouvernement se traduirait par une pénalisation des fonctionnaires de niveaux intermédiaire et supérieur, par rapport aux salariés en CDI du privé.

 

Tribune. Beaucoup de critiques ont été justement formulées contre le projet de réforme des retraites, dépassant largement la seule question de l’âge pivot. D’abord sur l’incertitude qu’engendrerait un système de points par rapport à un système où des droits réels sont accumulés, avec ses conséquences prévisibles comme le recours croissant aux assurances privées pour y faire face. Ensuite sur les limites d’un projet qui fixe à 14% du PIB le montant total des pensions de retraite alors que la démographie française ainsi que le volume de richesse produite par actif sont en permanente évolution. Enfin sur le caractère artificiel du déficit annoncé des systèmes de retraite actuels, qui a bien été mis en évidence par un collectif d’économistes.

En tant que sociologues travaillant sur les inégalités sociales, nous souhaitons intervenir dans ce débat en insistant sur le renforcement du système d’inégalités dont est porteur la dernière version de ce projet. Ces inégalités, nous avons pu les mettre en évidence grâce à une nomenclature d’emploi élaborée dans le cadre de la rénovation des PCS 2020 de l’Insee, qui permet pour la première fois de comparer les fonctionnaires aux salariés du CDI dans le privé à quatre niveaux de qualification distincts.

Certes, la communication gouvernementale laisse entendre que la réforme vise à combattre les inégalités de notre société : le système universel proposé serait équitable dans la mesure où il applique les mêmes règles à tous et toutes. Emmanuel Macron déclarait encore, lors de ses vœux aux Français le 31 décembre, qu’il devait faire cette réforme parce qu’«il s’agit d’un projet de justice et de progrès social». Mais, contrairement aux apparences, la même équation n’aura pas les mêmes conséquences sur toutes les carrières, et le projet de réforme tend en réalité à accentuer les inégalités par rapport au système actuel, en particulier au détriment des fonctionnaires. Le renoncement annoncé à un «âge pivot» de 64 ans ne change en rien cette détérioration annoncée de leur situation.

Rappelons un fait central : en France, les conditions de rémunération et de progression salariale entre le secteur public et le secteur privé diffèrent fortement, au détriment des fonctionnaires et ce sur l’ensemble des carrières. Le mode de calcul actuel des retraites compense, en partie seulement, cette inégalité structurelle.

En finir avec les «privilèges» des fonctionnaires ?

Gel du point d’indice, modification des règles d’avancement, retour du jour de carence, réduction du nombre de postes aux concours, etc. : les décisions politiques des dernières années sont sévères pour l’emploi public, et particulièrement pénalisantes pour les fonctionnaires. Plusieurs de ces décisions, motivées par l’objectif de contenir les dépenses publiques, contribuent à accroître les écarts avec les salariés du privé. Paradoxalement, dans le cadre de la réforme des retraites, c’est l’argument d’une plus grande égalité de traitement entre secteur public et secteur privé qui est cette fois convoqué pour justifier la modification du mode de calcul des pensions des fonctionnaires : ces dernières ne sont calculées que sur les six derniers mois d’activité, contre les 25 meilleures années dans le secteur privé. Un système universel des retraites serait ainsi plus équitable. En réalité, il ne ferait que prolonger les inégalités de carrière entre fonctionnaires et salariés du privé, qui se sont fortement accentuées avec les politiques conduites depuis quinze ans.

Les fonctionnaires les plus qualifiés sont sous-payés et ont des progressions de carrière plus tardives

Entre 2014 et 2017, les fonctionnaires exerçant un emploi de niveau supérieur (dont font notamment partie les plus de 900 000 enseignants, mais aussi les médecins hospitaliers ou encore les hauts fonctionnaires) ont perçu en moyenne 2 668 euros net mensuels, primes comprises avant impôt, contre 3 508 pour les salariés du privé en CDI de même niveau de qualification (cadres et ingénieurs). Sur quarante ans de carrière, cette différence de 840 euros tous les mois équivaut à… 403 200 euros !

Mais ces inégalités-là, pourtant bien connues du gouvernement après deux ans et demi de consultation des partenaires sociaux, on n’en parle pas. Ou alors on les renvoie à d’hypothétiques plans de revalorisation, souvent annoncés mais toujours repoussés, et dont les montants ne semblent pas du tout à même de compenser le décrochage salarial de ces fonctionnaires. Au contraire, ce que le projet de réforme prévoit, c’est d’appliquer un même mode de calcul des droits à la retraite à des carrières inégales.

Or les rémunérations ne sont pas seulement inégales en moyenne, elles le sont aussi en progression : les salaires des fonctionnaires de 50 à 59 ans (3 177 euros) correspondent au double de ceux de 20 à 29 ans (1 686 euros) ; rien de tel ne s’observe dans le privé où les salaires sont nettement plus élevés en début de carrière et augmentent moins ensuite. Si jusqu’à présent la faiblesse des rémunérations pendant une grande partie de la carrière avait des conséquences sur l’attractivité de l’emploi public, les démissions précoces et les conditions de vie des fonctionnaires, elle ne pesait au moins pas dans le calcul de leurs pensions. La prise en compte de l’ensemble de la carrière et non des six derniers mois changera la donne. Difficile pour le gouvernement de présenter comme équitable une réforme qui accroît les inégalités à l’âge de la retraite alors qu’elles sont déjà béantes en cours de vie active !

 

[...]

 

La suite sur le site de Libération

https://www.liberation.fr/debats/2020/01/14/les-fonctionnaires-sacrifies-sur-l-autel-du-systeme-universel-de-retraites_1772791



16/01/2020
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