J'apprends la Démocratie

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« Notre métier, c’est de former une génération qui prendra en main la destinée du monde d’ici 25 ans »

« Notre métier, c’est de former une génération qui prendra en main la destinée du monde d’ici 25 ans »

 

Un article Bastamag du 04/09/2019 par

https://www.bastamag.net/Rentree-scolaire-ecole-publique-pedagogie-Freinet-enseignants-greve-parents-d-eleves-Veronique-Decker

 

Comment enseigner sans se préoccuper des élèves qui dorment à la rue, ou des garçons habitués à frapper les filles ? Institutrice puis directrice d’école en Seine-Saint-Denis pendant plus de trente ans, confrontée à la paupérisation des habitants, Véronique Decker défend un enseignement à la fois ancré dans le réel et tourné vers l’émancipation. Entretien avec l’auteure du livre Pour une école publique émancipatrice.

 

Basta ! : L’école publique peut développer un projet émancipateur, dîtes-vous, à condition d’avoir des enseignants engagés, une envie de construire un monde nouveau et meilleur, plus solidaire et coopératif. Pourquoi l’engagement des enseignants est-il si important ?

Véronique Decker [1] : Notre métier, c’est de former une génération qui va prendre en main la destinée politique du monde d’ici 25 ans. On ne peut pas se contenter de viser des performances de lecture ou de calcul. Il faut impérativement avoir une vision politique du monde que l’on souhaite voir advenir.

Si on veut en finir avec les féminicides, il faut éduquer les petits garçons à respecter l’intégrité physique des filles. Pour les enjeux liés au réchauffement climatique, c’est la même chose. Dès la maternelle, on peut faire réfléchir les enfants à ce que c’est que le gâchis et le caprice. De proche en proche, et au fur et à mesure qu’ils grandissent, on peut réfléchir avec eux au sens que cela a de nourrir des animaux avec du soja qui a fait le tour du monde. Ou se demander pourquoi on devrait écrire sur du papier tiré d’arbres qui arrivent de l’autre bout de la planète. Cela peut très bien se faire dans le cadre de cours de géographie en cycle trois (CM1, CM2, 6ème, ndlr).

Je pense que l’on ne peut pas enseigner en ne faisant que raconter des choses. Comment apprendre l’égalité aux enfants, par exemple, si on reste totalement indifférent au sort d’un élève qui dort dans la rue ? Ce n’est pas possible. Pour emporter l’adhésion des enfants, il faut qu’il y ait un minimum de cohérence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. La moralité, c’est ce qu’ils voient de nos actes chaque jour.

 

Vous avez choisi de pratiquer la pédagogie de Célestin Freinet, du nom de l’instituteur qui développa des techniques d’enseignement coopératives au milieu du 20ème siècle. Le choix de cette pédagogie, c’est un engagement pour vous ?

Tout à fait. Cette pédagogie, qui s’est développée à l’intérieur de l’école publique, forme des gens capables d’organiser leur enseignement de manière collective, que ce soit avec leurs collègues ou avec les enfants. C’est une pédagogie coopérative, qui s’appuie sur le groupe, et qui essaye d’agir sur le réel. Quand les enfants écrivent, ils écrivent réellement à quelqu’un. Ils ont des correspondants. Quand ils inventent des histoires, ils les publient. Quand ils calculent, c’est pour de vrai. Par exemple, les CP ont 100 euros par an de la part de la coopérative scolaire. Comment vont-ils les dépenser ? S’ils décident d’acheter un poisson rouge, il faudra retirer 12 euros de la somme initiale. C’est ainsi qu’ils découvrent la soustraction. Freinet, en son temps, avait fait calculer le débit d’eau de la fontaine du village.

La pédagogie Freinet enseigne le sérieux et la responsabilité. C’est une pédagogie du travail. Quand on commence un dessin, il est fini quand il est colorié, contre-collé sur un carton, mis dans un cadre et affiché. On ne félicite pas les enfants pour un petit gribouillis fait à la va vite. Les enfants doivent être engagés dans ce qu’ils font. Avec les plans de travail individualisés (qui permettent aux enfants d’apprendre à leur rythme), et les fichiers auto-correctifs, les élèves apprennent à s’organiser, à poser des priorités. Ils apprennent à penser les choses, à les exprimer et à les défendre.

 

« Le niveau de santé et de suivi médical des enfants n’est plus suffisant pour nous permettre d’enseigner »

 

En terme de réussite scolaire, il n’y a aucun indicateur affirmant que nos élèves seraient meilleurs. Mais ce sont des enfants plus actifs, plus créatifs, avec de réelles capacités d’organisation. Et le plus satisfaisant, de mon point de vue, c’est d’avoir des enfants capables d’une pensée autonome, avec une capacité à contester la parole de l’adulte. Je me dis alors qu’ils sont bien partis pour leur scolarité, ils ne risquent pas d’être des moutons.

 

Dans les classes Freinet, on expérimente aussi la démocratie, au sein de conseils de classe qui se tiennent toutes les semaines. Les délégués élus par les élèves se retrouvent toutes les trois semaines, prennent des décisions. Pour vous, cette expérimentation de la démocratie est une des missions de l’école publique. Pourquoi ?

La démocratie consiste à réunir des gens pour qu’ils prennent des décisions ensemble. Ce n’est pas d’aller voter tous les cinq ans pour élire des personnes qui décideront à notre place. Mais la démocratie, ce n’est pas naturel, cela s’apprend. Et en se pratiquant plutôt qu’en recopiant des leçons ! Les enfants apprennent à faire des choix, en commençant par le plus important car la démocratie, ce n’est pas avoir tout, tout de suite. Quand l’ouragan Irma a ravagé Haïti en 2017, les élèves délégués de l’école ont décidé de faire des gâteaux, de les vendre et d’envoyer l’argent à une école là-bas qui avait tout perdu. Ils ont dû récolter 200 euros, avec lesquels on aurait pu faire des choses dans notre école, qui n’est pas (de loin) la plus riche de France… Le fait qu’ils décident spontanément de ne pas garder cet argent pour eux mais de l’envoyer à l’autre bout du monde, dans un endroit où ils ne connaissent personne, c’est de l’éducation civique réelle. C’est bien plus efficace que d’apprendre à chanter la marseillaise par cœur !

 

Vous insistez dans votre ouvrage sur le fait que les enfants ont besoin de découvrir le monde réel : les véritables vagues de la mer, les véritables sentiers des montagnes, les véritables humains... Avec le numérique, le virtuel aurait-il pris le pas ?

Tant que les limites du réel ne sont pas bien comprises, les limites du virtuel sont incertaines et dangereuses. De plus en plus d’enfants expérimentent le monde et les relations virtuelles avant d’expérimenter le monde et la relation humaine. Les enfants se retrouvent dans des situations où s’ils se fâchent avec quelqu’un, ils peuvent l’expulser. Les petits croient à cette magie là. A un monde où il n’y a pas de limites. Dans la vraie vie, cela ne se passe pas comme ça, évidemment… Le voisin avec lequel on ne s’entend pas, reste notre voisin. Il faut donc apprendre à composer avec le réel. Aujourd’hui, trop d’enfants sont gavés d’écran et arrivent à l’école sans avoir été suffisamment en interaction avec d’autres humains. On passe un temps infini à leur expliquer qu’entre le désir et le réel, il y parfois un très gros écart, qui n’existe pas dans le monde virtuel. De très nombreux parents sont totalement inconscients de ces effets dangereux des tablettes et smartphones. Beaucoup d’entre eux pensent que les enfants ont besoin d’avoir une tablette dès la maternelle. Ou un smartphone quand ils sont à l’école élémentaire.

 

Vous citez dans votre livre Célestin Freinet, qui parle de la « motivation au travail ». Une question que les enseignants se posent de moins en moins, regrettez-vous, car trop souvent, ils houspillent, grognent et menacent. Comment, dans votre quotidien, avez-vous pu aider les enfants à trouver cette motivation ?

Trop d’enseignants considèrent que leur fiche de préparation suffit pour qu’un gamin soit motivé pour apprendre l’imparfait, par exemple. Mais le gamin sera motivé s’il a besoin d’apprendre l’imparfait, pour écrire un conte, ou parler de mythologie. Il n’y a que les enfants de profs qui ont envie d’apprendre l’imparfait simplement pour l’apprendre. Les autres n’en ont que faire. Au sein d’une école Freinet, beaucoup de choses reposent sur le désir des enfants et des familles. Dans ce cadre, il faut être prêt à avoir de réelles surprises, bonnes ou mauvaises.

 

[...]

La suite sur le site de Bastamag.



15/09/2019
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